Les rencontres de L'AFCAB, une première édition réussie
Le 12 octobre dernier a eu lieu la première édition des Rencontres de l’AFCAB. « Nous avons décidé de mettre en place ce nouveau format d’échanges sur la qualité et la sécurité des constructions, auxquelles nos certifications concourent, des thèmes qui nous concernent tous» a rappelé Bernard Creton, président de l’AFCAB en introduction de cette manifestation organisée dans l’imposante chapelle, construite en 1619, de la Maison de l’Architecture. Cinq spécialistes d’horizons divers ont porté chacun un regard différent sur le thème retenu, la fiabilité, un concept souvent sujet à interprétation. Défini comme l’« aptitude de bien fonctionner », ce terme est plus souvent utilisé, plus négativement, comme « la probabilité pour qu’une pièce, un dispositif ou un équipement soit utilisé sans défaillance pendant une période de temps déterminée et dans des conditions opérationnelles spécifiées » selon la définition du Larousse.
C’est sur chacun de ces éléments que Patrick Chaize, sénateur de l’Ain et corapporteur du rapport « Sécurité des Ponts : Eviter un drame » du 26 juin 2019 a insisté. Cette vaste enquête, initiée après le drame de Gênes en 2018, a permis de constater que la France compte quelque 250 000 ponts routiers, soit un tous les cinq kilomètres, mais surtout qu’un sur dix est « en mauvais état et même dangereux. L’effondrement d’un pont d’autoroute comme en Italie a peu de chance d’arriver en France, car ceux-ci sont bien entretenus par les différents concessionnaires. Le problème est que nous ne savons pas où ces ponts dangereux se trouvent car ils ne sont pas recensés, ni quel est leur niveau de dangerosité et l’usage qui en a été fait, car ils ne possèdent ni état civil ni carnet de santé » a exposé Patrick Chaize.
« Nous ne connaissons pas ce patrimoine, qui se caractérise par la diversité des constructions en pierre, en bois, en béton… – et par la diversité de ses propriétaires – ils appartiennent à des communes, des régions, des entreprises et il y a même des ponts orphelins. Le pont n’est pas un bâtiment, il fait partie du paysage. C’est pourquoi il est encore plus important de vérifier sa fiabilité, qui varie dans le temps. La culture de la gestion s’est malheureusement perdue au sein des communes et ils n’ont pas les outils de gestion adéquats. Il n’existe pas de suivi comptable des ponts avec des provisions pour renouvellement comme pour les réseaux d’eau potable. Nous avons l’impression qu’ils sont inaliénables et indestructibles, mais c’est une fausse idée, notamment pour les ouvrages en béton dont la grande majorité a été construite après-guerre. Ils arrivent donc en cette phase de fin de vie etil faut poser rapidement la question de leur suivi. C’est pour cette raison que nous avions recommandé un plan Marshall pour ces infrastructures», a détaillé le sénateur.
« Le déploiement des réseaux autoroutiers ou encore la LGV s’est malheureusement fait au détriment de tous les autres, des routes et ponts notamment », a convenu également Philippe Duron, ancien député du Calvados et coprésident délégué du think tank TDIE qui sensibilise les décideurs politiques à la création d’infrastructures maintenables et évolutives. « Nous n’avons plus de mémoire, d’archives de la construction permettant l’entretien. On a perdu beaucoup de technicité aussi dans les territoires, car les petites communes ou petites intercommunalités, qui n’ont pas les mêmes équipes que les grandes villes, ne bénéficient plus de l’assistance technique de l’Etat depuis la disparition du Ministère de l’Equipement. Il faut hausser à la fois les préconisations et les moyens à mettre en œuvre. Si les sociétés autoroutières ont l’obligation et les moyens d’entretenir le réseau, pour le reste c’est moins évident », a dépeint celui qui a été à la fois maire de Caen et du village de Louvigny.
De plus, les territoires doivent anticiper les conséquences du changement climatique. Les crues peuvent emporter un pont et les sécheresses fragiliser les ouvrages. D’après une estimation de France Assureurs, rien que les canicules de cet été ont causé des dégâts sur les bâtiments et habitations qui se chiffrent à 1,6 à 2,4 milliards d’euros.
Le bâtiment doit s’adapter à ces nouvelles conditions climatiques. Mais aussi évoluer rapidement pour contribuer lui-même moins au réchauffement : « le béton représente 7% des émissions totales dans le monde » a souligné Stephanie Bondoux, directrice certification et évaluation chez Hoffmann Green Cement. Ce groupe vendéen, créé en 2014, produit du ciment sans clinker calcaire cuit habituellement pendant 18 heures et donc sans cuissonce qui permet de diviser les rejets de CO2 par cinq. « Notre ciment produit en France est une solution disponible dès à présent. Avec nos quatre technologies de fabrication uniquement à partir de déchets, dont la plus avancée est à base de laitier de hauts-fourneaux, nous sommes face au ciment traditionnel utilisé depuis 200 ans et dont la fiabilité est éprouvée, du moins quand on l’entretient. Dans le bâtiment, la culture de la fiabilité est très forte et c’est très bien, mais comment juger de la fiabilité d’un produit nouveau ? Nous devons compenser ce manque d’expérience par une très bonne connaissance de nos produits et innover jusque dans la méthode d’essai afin de prouver la performance et la durabilité de nos produits pour un bâtiment avec une durée de vie attendue de cinquante ans et même de cent ans pour un pont ou un tunnel » a détaillé la responsable.
Le quatrième participant à la table ronde, Baïla Deme, contribue à la construction de grands ouvrages de génie civil. Après la ligne 15 du Grand Paris Express, cet ingénieur de formation supervise actuellement le secteur Pont Canal de la Somme de la Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE). Sur ce tracé long de 107 kilomètres entre Compiègne et Aubencheul-au-Bac, trois ponts-canaux et septécluses sortiront de terre pour permettre la croissance du transport fluvial, un bateau étant l’équivalent de vingt camions. « La réglementation pour de tels ouvrages, les barrages étant régis par le Code de l’Environnement, n’a cessé d’être étoffée depuis 1959 et la catastrophe du barrage de Malpasset à Fréjus (dont la rupture avait fait 423 morts). La fiabilité de telles constructions est primordiale, en zone urbaine comme agricole comme pour le Canal dans la Somme. En amont de tout dossier, des études dites de danger sont faites. Par exemple, que se passe-t-ils s’il y a une brèche qui s’ouvre. Ensuite, de nombreux calculs sont faits pendant la conception et l’exécution lors de laquelle ont lieu divers contrôles de qualité avant l’aval final du comité techniquepermanent des barrages. Chaque ouvrage est vérifié de nombreuses fois. De plus, puisque ce sont des ouvrages qui sont gérés par des gestionnaires, toutes les préconisations de la maintenance sont prises en compte dès la conception. Il n’y a pas d’ouvrages non identifiés comme les ponts non identifiés mentionnés par monsieur Chaize ».
Vincent Piron, directeur du groupe de travail « Economie des Concessions/PPP » de la Fédération des Industries Européennes de la Construction (FIEC) et président de Piron Consulting, a lui témoigné de son expérience en tant que jeune ingénieur de ponts et chaussées, chargé du recensement de l’état des ponts du département du Rhône, 332 exactement, après la chute du pont de Tours en 1978. « Cela nous a pris deux ans. Avant de procéder à leur renforcement » a expliqué l’ancien responsable de Vinci, avant de plaider pour une évolution de l’attention portée aux ouvrages publics. « En 1844, Jules Dupuit, qui avait justement des ponts à entretenir, fut l'un des premiers à analyser le rapport coût-efficacité d’une infrastructure. Beaucoup d’études sont faites en amont de la construction des ouvrages, mais pas après sa mise en service pour mesurer son utilité. Or, une infrastructure n’est pas un objet, c’est un service, comme le téléphone. Ce n’est pas l’objet qui est intéressant, mais la fonction. Les gestionnaires d’autoroutes le font bien : ils vendent du temps, mais surtout de la certitude, de la prévisibilité. Tout comme les marques, qui, elles, vendent de la confiance, de la fiabilité, mais aussi une garantie d’entretien ».
Le parallèle avec les marques est juste selon Stéphanie Bondoux qui a souligné que « la fiabilité est un choix dès la conception et nécessite une vision de long terme. Cela implique aussi d’intégrer dans la conception, comme on commence à le faire, le futur changement d’utilisation d’un bâtiment, logement aujourd’hui, mais bureau demain. On essaie de construire pour les générations d’après, alors que dans les années 50 on construisait pour des besoins immédiats ». Patrick Chaize l’a rejointe sur ce point : « Il y a eu à une époque un besoin fort de logements, on en fait beaucoup, rapidement, mais sans prendre en compte la durabilité des ouvrages. De plus en plus, même s’il y a encore des progrès à faire, la notion durable s’intègre dans les politiques publiques ». Ne faudrait-il pas l’intégrer dans tous les appels d’offres en définissant des critères environnementaux et sociétaux ? « Actuellement, le mieux disant l’emporte le plus souvent », a pointé Philippe Duron. « Le rôle de la maintenance est de pérenniser. Le métro de Paris, en évolution constance et toujours fiable, en est peut-être le meilleur exemple » a résumé Baïla Deme.
Après une heure et demie de débats, et avant de les poursuivre lors d’un cocktail déjeunatoire informel, Bernard Creton a conclu en soulignant que « la fiabilité est un choix au niveau de la conception et l’importance de la maintenance devrait être soulignée dans les appels d’offres. Elle dépend aussi de la qualité du contrôle de l’exécution. Au-delà des ressources financières, les ressources techniques sont donc absolument nécessaires. La relation entre fiabilité et sécurité a été explorée par les participants, mais aussi déjà celle entre la fiabilité et la durabilité ». Ce thème fera l’objet de la seconde table ronde des « Rencontres de l’AFCAB » envisagée début 2023.